Planification anticipée des soins en EMS
De nombreuses voix s’élèvent pour demander que les personnes âgées prévoient leur fin de vie et donnent des informations sur les décisions qu’elles envisagent de prendre, en particulier si elles doivent entrer en EMS. Il existe deux manières de le faire : les directives anticipées et la planification anticipée des soins . Toutes les deux permettent au final de mieux prévoir ce qui pourrait arriver, de donner des indications si jamais on n’est plus capable de décider et de déléguer son pouvoir de décision à un représentant, mais la seconde permet surtout d’améliorer la qualité de la relation et des soins.
Sommaire
Les directives anticipées, une bonne idée qui marche mal.
Le plan de soins anticipé : une opportunité d’apprendre les uns des autres
Le projet doit partir d’une envie des résidents
Mieux connaître les valeurs des résidents et leurs priorités personnelles
Plusieurs personnes doivent s’engager dans le processus
Un dialogue en fonction de l’évolution des personnes et des maladies.
Le souci de synthétiser les informations recueillies et de les transmettre
Ce que l’on appelle
aujourd’hui « Directives anticipées » étaient dans les années 80 en
Suisse une revendication des associations pour le droit de mourir dans la
dignité, qui les appelaient le « testament de vie ». L’idée a fait
son chemin, elles sont inscrites aujourd’hui dans le code civil et les
professionnels de santé doivent les respecter lorsque la personne n’est plus
capable de dire ce qu’elle souhaite. A première vue, les directives anticipées
sont un dispositif assez simple pour faire respecter le droit de choisir ses
soins, lorsqu’on ne peut plus donner son avis. Pour les professionnels de santé,
ainsi que pour les proches, cela parait également être un outil efficace
lorsqu’il faut prendre des décisions pour quelqu’un qui n’est plus capable de
faire des choix.
Pourtant, on constate
que les directives anticipées ne fonctionnent pas. Peu de personne les rédige,
même si elles ont été bien informées à leur sujet (Zeisserab &Weberab,
2016). Ce qui explique ce désintérêt, c’est tout d’abord le fait qu’il est
désagréable de penser que l’on va perdre sa capacité de discernement. Ensuite,
il est difficile d’imaginer concrètement à la fois les situations dans
lesquelles on pourrait se trouver et les décisions que l’on pourrait prendre.
Ce que les gens disent, c’est qu’ils ne veulent pas « d’acharnement
thérapeutique », ce qui est assez vague, mais que l’on peut comprendre
comme un refus de gestes invasifs et un souhait de ne pas souffrir. D’autre
part, on constate que les professionnels peinent à respecter les directives
(Fischer, Tulsky & Arnold, 2004)
qui existent, mettant en avant l’urgence des situations ou le flou des
directives disponibles.
Principe des
directives anticipées - Art.
370 du Code civil suisse
1 Toute
personne capable de discernement peut déterminer, dans des directives
anticipées, les traitements médicaux auxquels elle consent ou non au cas où
elle deviendrait incapable de discernement.
2 Elle
peut également désigner une personne physique qui sera appelée à s’entretenir
avec le médecin sur les soins médicaux à lui administrer et à décider en son
nom au cas où elle deviendrait incapable de discernement. Elle peut donner
des instructions à cette personne.
3 Elle
peut prévoir des solutions de remplacement pour le cas où la personne
désignée déclinerait le mandat, ne serait pas apte à le remplir ou le
résilierait.
|
Mais il y a quand même
des gens qui remplissent leurs directives anticipées. Ils le font parce qu’ils
ont l’habitude de prévoir et de contrôler. Ils ont trouvé parmi les nombreuses
formes disponibles à ce jour le modèle qui leur convient : soit ils ont
répondu à quelques questions qui leur paraissent claires, c’est le modèle de la
Main tendue[1] par exemple. Ou alors ils ont trouvé un
formulaire à remplir avec leur médecin, qui leur permet de prévoir l’évolution
de leur maladie et de choisir parmi les options possibles, ce sont les
directives de la FMH (version détaillées)[2]. Ou bien ils ont eu besoin d’avoir une
perspective large sur l’ensemble des décisions à prendre : médicale,
testamentaire, rituelles, et ils ont apprécié d’être guidés par un modèle très
complet, comme le DOCUPASS de Pro Senectute[3]. D’autres, enfin, ont saisi l’opportunité de
la page blanche où ils ont écrit des éléments essentiels pour eux. Deux
catégories de personnes les remplissent par obligation : une personne qui
arrive à l’hôpital peut être amenée à décider si elle désire être réanimée
durant le séjour et cette directive est inscrite dans son dossier, le fameux
« NTBR[4] ». Enfin, certains EMS décident que les
directives anticipées doivent être rédigées à l’entrée et faire partie du
dossier des nouveaux résidents.
Arrêtons-nous un
instant sur la situation des EMS. Ils accueillent des personnes qui sont
arrivées au bout de leurs ressources personnelles et familiales, qui sont
souvent malades, dépendantes, beaucoup souffrent de troubles cognitifs. La
plupart termineront leurs jours dans l’établissement, après y être entrées
suite à une crise. On peut comprendre que les professionnels souhaitent avoir
un maximum d’informations pour accompagner au mieux ces fins de vie et les
directives anticipées semblent un moyen simple et efficace de respecter les
souhaits des personnes. Mais, comme on l’a vu, si les procédures classiques
fonctionnent mal pour les personnes qui ont leur capacité de discernement,
elles sont encore moins adaptées lorsqu’on les propose à des personnes en crise
ou souffrant de troubles cognitifs.
A ce stade, on
comprend mieux pourquoi il fallait réfléchir à un autre moyen pour garantir le
respect des options de vie d’une personne, quelles qu’elles soient. Des
méthodes permettant à toutes et à tous de garder la maîtrise sur leur vie, de
mieux comprendre ce qui pourrait arriver et de préparer les décisions à prendre
sont regroupées sous le terme de « plan de soins anticipé ».
Le plan de soins anticipé : une
opportunité d’apprendre les uns des autres
Les expériences menées
avec les directives anticipées révèlent plusieurs types de
difficultés pour les personnes qui les rédigent : se projeter dans l’avenir, prévoir ce qui
pourrait nous arriver, donner des directives claires. Les personnes qui devront
les mettre en pratique, représentant thérapeutiques, proches désignés par le
code civil, professionnels, rencontrent également des obstacles : comment
interpréter ce qui a été écrit ? Est-ce que la personne avait imaginé se
retrouver dans la situation qui est la sienne aujourd’hui ? Comment
puis-je assumer la décision que je prends ? Si elle avait connu cette
option thérapeutique nouvelle, l’aurait-elle acceptée ? Dans le contexte
des EMS, où les séjours peuvent durer des années, la mise à jour régulière des
directives anticipées ne suffit pas à surmonter ces difficultés et le plan de
soins anticipé est une bonne option, il permet au final de planifier ensemble
les soins en fonction de l’évolutions de la ou des maladies et en fonction des
valeurs de la personne. Il existe plusieurs méthodes, nous présenterons ici les
principes de base de toutes ces méthodes, leurs exigences, les avantages et les
inconvénients. Voici une définition qui permet de mieux comprendre de quoi il
s’agit :
Définition du
plan de soins anticipé
Un processus dans
lequel les patients et, le cas échéant, leurs proches discutent avec les
professionnels de la santé des stratégies et des objectifs thérapeutiques,
les définissent et les adaptent régulièrement au déroulement concret de la
maladie (ASSM, 2018).
|
Le projet doit partir d’une envie des
résidents
Avant d’entamer la
démarche, il faut absolument se demander : qui cela rassure de planifier
les soins à l’échelle d’un EMS ? S’agit-il du besoin des résidents qui
veulent affirmer leur auto-détermination ? S’agit-il d’une demande des
familles, qui veulent améliorer la prise en compte des désirs de leur proche
qu’ils connaissent bien ? S’agit-il enfin d’une requête des professionnels
qui sont mal à l’aise avec certaines décisions, qui leur semblent ne pas tenir
compte des observations qu’ils font, comme par exemple une hospitalisation en
urgence ou au contraire une non initiation de traitement ?
S’il y a une demande
de la part des résidents, de certains d’entre eux ou de la plupart, il faut se
lancer. Il ne s’agit bien sûr pas d’une demande formelle et écrite, mais bien
d’indices qui montrent que certains apprécient que l’on prenne le temps de
mieux les connaître, voire même qui attendent que les professionnels abordent
des questions difficiles comme l’évolution d’un Parkinson, l’hospitalisation en
cas d’AVC ou la mort à venir. Les personnes vivant actuellement en EMS sont
d’une génération qui fait confiance à son médecin, non par ignorance ou
faiblesse, mais par confiance déléguée (Hammer, 2010) : « je fais mon
métier de malade, fais ton métier de médecin ».
Mieux connaître les valeurs des résidents et
leurs priorités personnelles
Le plan de soins anticipé a pour objectif premier de mieux connaître ce dont on ne parle pas spontanément : ce qui est important pour moi, ce qui m’a permis de m’épanouir, ce que je veux conserver jusqu’au bout. Ces choses peuvent peut-être être inconscientes et se révéler lors du processus proposé par les soignants. Une étude sur le désir de mort en EMS[5] a montré que les résidents étaient soulagés de pouvoir aborder cette question de front, avec les chercheurs. Les personnes souffrant de troubles cognitifs ne doivent pas être exclues de cette démarche. En effet, sans entrer dans le détail, il apparait qu’au premier stade d’une maladie d’Alzheimer les personnes sont capables d’indiquer leurs préférences sur des éléments très concrets (Deutscher Ethikrat , 2013). Plus elles avancent dans la maladie, moins elles seront capables de se prononcer sur des éléments abstraits, de comprendre des textes écrits ou de se projeter dans l’avenir (Gilbet et all, 2017). La notion de projet est difficile à concevoir, alors que le présent est déjà difficile à appréhender. Cependant, les personnes peuvent participer si elles ont confiance dans les soignants, si elles sont accompagnées par leurs proches et si les modes de communication sont adaptés. On voit déjà que cette étape essentielle du plan de soin anticipé le différencie des démarches de directives anticipées classiques, puisqu’elle prend le temps de mieux connaître ce qui compte pour la personne, elle n’est focalisée pas sur la fin de vie, mais sur l’ensemble du parcours de vie.
Plusieurs personnes doivent s’engager dans le
processus
S’il n’y a pas de la
part des professionnels impliquées une envie d’aborder des questions difficiles
avec finesse et un engagement de principe à respecter des demandes inattendues,
la démarche du plan de soins anticipé est bien trop exigeante et peut même
devenir une forme de contrainte stérile. Si l’on comprend bien à ce stade le
rôle des professionnels de proximité, infirmières, assistantes en soins et en
santé communautaires auxiliaires de vie, qui voient au quotidien la personne
évoluer dans l’EMS, il faut maintenant préciser le rôle du médecin dans ces
démarches. En effet, pour planifier ses soins, il faut avoir une idée de ce qui
risque d’arriver : comment mes maladies vont évoluer, quelles sont les
options qui vont s’offrir à moi, de quelles ressources disposent l’EMS, mes
proches et mon médecin pour m’accompagner dans mes choix ? Cette étape ne
peut avoir lieu qu’avec le médecin, qui va prendre le temps d’expliquer en
détail la situation médicale et son évolution possible. C’est aussi le moment
pour lui de clarifier son approche de la gériatrie, des soins palliatifs et le
réseau qu’il a mis en place pour prendre en charge ces malades âgés, qui vivent
en EMS et vont certainement y mourir : comment collabore-t-il avec
l’hôpital de proximité lors des transferts, a-t-il des contacts avec les
spécialistes qui ont soigné la personne (oncologue, neurologue, diabétologue, cardiologue),
est-il disponible 24 h sur 24 h pour les urgences, a-t-il une expérience de la
gestion des symptômes de fins de vie, collabore-t-il déjà avec l’équipe mobile
de soins palliatifs ? Tout comme le résident fait le point sur ses valeurs
et ses ressources, le médecin est invité à faire de même, pour que
l’anticipation des soins puisse se faire en toute connaissance de cause.
Enfin les proches sont
invités à réfléchir au rôle assumé jusque-là, avant le placement et après.
L’évolution de la maladie, le niveau d’information, l’institutionnalisation,
les rapports avec les professionnels reconfigurent le regard des proches sur
l’aîné et sa situation. Se sentent-ils reconnus, impliqués dans la prise en
charge de leur parent, souhaitent-ils s’impliquer plus, comment voient-ils la
situation et son évolution possible, de quelles informations ont-ils
besoin ? Comment fonctionnent-ils en famille et avec le réseau des amis,
s’il en reste, qui souhaite être impliqué dans le processus, au nom de
quoi ? Les proches ont en général accompagné jusqu’au bout de leurs
ressources leur parent, ils l’ont confié à l’EMS, comment ont-ils gardé le lien
avec les décisions à prendre, ont-ils juste été informés ou alors sont-ils
impliqués ? A contrario, prennent-ils toutes les décisions, sans trop
s’inquiéter de consulter un parent qu’ils veulent protéger de nouvelles trop
alarmantes ? Beaucoup de résidents ont des troubles cognitifs, mais pas
forcément de curateurs. Le proche de référence n’est pas toujours la proche
aidante, l’histoire de l’aide avant le placement est mal connue (Anchisi,
2014).
Comme on le voit, le
plan de soin anticipé est une démarche plus large que la simple rédaction de
directives anticipées. Il doit répondre à un désir des résidents et faire en
sorte d’impliquer toutes les personnes qui auront un rôle à jouer dans le
parcours de fin de vie des résidants.
Comment s’y prendre ?
A ce stade, on peut
dire qu’il faut équilibrer l’aspect menaçant d’une planification anticipée des
soins imposée avec le souci d’offrir l’opportunité aux résidents et à leur
proches de s’exprimer sur leurs valeurs, leurs attentes. Il convient également
de faire en sorte que l’ensemble de professionnels et des proches soient des
ressources pour la démarche
Analyser la demande et choisir une définition
La première grande
question à se poser est donc : qui a besoin de la planification anticipée
des soins ? Si c’est une demande des résidents, c’est un excellent point
de départ (Carbonnelle et all, 2014). Malheureusement, c’est rarement le cas.
Les résidents souffrant de troubles cognitifs par exemple, ont de la peine à
accepter leur maladie et encore plus à imaginer la suite. S’il n’y a pas de
demande, il convient peut-être de commencer par des actions de sensibilisation
pour le personnel, les proches et le public à la notion d’anticipation et de
décisions partagées.
S’agit-il d’une
demande des proches ? On peut alors imaginer des initiatives de type
écoute, conseil, atelier d’art thérapie, voire focus groups permettant aux
proches d’être entendus, d’exprimer leurs valeurs, voire de se réunir entre
pairs pour échanger sur leurs soucis et devenir des interlocuteurs pour les
professionnels de l’EMS.
La plupart du temps,
c’est une demande qui vient des professionnels. Il faut en être conscient et
bien évaluer ce que les professionnels et les directions cherchent à
obtenir : se rassurer sur les décisions à prendre, éviter les dilemmes
éthiques, anticiper des plaintes pour maltraitance ? La direction doit
donc faire une analyse de la demande, puisque l’on voit maintenant qu’il va
s’agit d’un grand projet, nécessitant un engagement de tous.
Si l’établissement
décide de mette en place une démarche de planification anticipée des soins,
consciente des enjeux décrits jusqu’ici, il faut alors choisir une définition,
parmi les multiples exemples disponibles (Rondia & Raeymaekers, 2011).
Un dialogue en fonction de l’évolution des
personnes et des maladies.
Les séjours sont
longs, les maladies évoluent, il faut donc prévoir des rencontres régulières et
en organiser lors des crises, afin de discuter de la nouvelle perception de la
situation. Pour les personnes atteintes de troubles cognitifs, la planification
anticipée des soins peut, en théorie, être proposé à tous les stades de la
maladie : il faut adapter la communication et intégrer les proches à la
discussion. Il est clair qu’elle est plus aisée au premier stade de la maladie.
Un collectif belge (Carbonnelle et all, 2014), qui a beaucoup travaillé sur la
question, propose un certain nombre de conseils : en premier lieu, bâtir
une relation de confiance et apprendre à mieux connaître la personne, ensuite,
respecter le rythme de la personne et enfin être attentifs aux signaux non
verbaux de désarroi face aux questions soulevées. Certains des principes utilisés
dans des thérapies cognitivo-comportementales peuvent servir de guide
(Rousseau, 2009).
Principes de
communication avec les personnes souffrant de troubles cognitifs
· proposer
des situations de communication et des thèmes de discussion où la personne sera
le plus à l’aise ;
· faire en
sorte qu’elle puisse utiliser le langage qu’elle maîtrise encore ;
· faire en
sorte qu’elle puisse s’appuyer sur le discours de son interlocuteur pour
construire le sien ;
· utiliser des procédés
facilitateurs;
· favoriser
la communication sous toutes ses formes ;
· ne pas
tenter à tout prix de ramener la personne là où l’on est mais essayer
éventuellement de la rejoindre là où elle se trouve.
|
Comme on le voit, le
processus du plan de soins anticipé s’appuie sur une culture de soins
préexistante, il ne sert à rien de lancer cette démarche s’il n’y a pas déjà
une habitude de considérer que les personnes souffrant de troubles cognitifs
sont des interlocutrices qui ont des choses à dire. Mais il est clair que la
réussite des entretiens varie en fonction de personnes et du moment, c’est
impossible de la prévoir, mais il faut toujours essayer. Les proches de la
personne, les soignants de proximité qui l’accompagnent au quotidien,
saisissent les moments où la personne nous dit comment elle se sent, elles
recueillent les indices de l’évolution de sa perception de la situation
(Debons, 2017).
Le souci de synthétiser les informations
recueillies et de les transmettre
Si on veut mieux
comprendre la personne, ses valeurs et ses ressources, c’est pour les
transmettre à l’ensemble de l’équipe, voire aux autres professionnels
impliqués, comme les collègues de l’hôpital. Combien de démarches de recueil
d’information finissent au fond d’un tiroir, dans une annexe des dossiers
informatiques, ignorées de tous, sous prétexte que « ce serait trop long
de lire tout ça » ? Ici encore, si on s’est posé les bonnes questions
en amont, que la démarche choisie a été acceptée par tous, la lecture du
document de synthèse, quelle que soit sa forme, devient une priorité pour
chacune et chacun.
Il faut bien sûr que
quelqu’un ait le souci de rédiger cette synthèse. Le professionnel de référence
est le mieux à même de le faire : là encore, on voit que la démarche doit
s’inscrire dans un terreau favorable, si l’EMS n’est pas organisé avec le
principe d’un référent par résident, la planification anticipée des soins aura
de la peine à être réalisée et actualisée.
Le référent doit tenir
à jour les informations qu’elle contient, en fonction de l’évolution de la
situation personnelle, médicale, familiale, et du contexte de l’EMS. Il doit
être attentif à des changements imperceptibles pour les autres, anticiper des
problèmes que seul le quotidien révèle, discerner le moment où il faut
reprendre la démarche parce que les changements survenus n’ont pas été prévus.
Cela peut concerner l’évolution de la maladie, mais aussi l’évolution de la
personne : un résident, même âgé, reste un être humain en devenir….
L’infirmière cheffe ne
peut pas porter cette actualisation toute seule, si elle le pense, c’est qu’il
n’est pas opportun de se lancer dans la démarche. En effet, la synthèse et la
transmission des informations n’est pas juste un détail technique à
régler : le soin pris à la rédiger et à la réactualiser est un indicateur
montrant que l’EMS favorise l’épanouissement des résidents et encourage une
relation personnelle de l’ensemble du personnel avec chacune et chacun d’entre
eux.
Go Wisch, un exemple inspirant
Les
méthodes permettant de planifier de manière anticipée les soins sont nombreuses,
nous présentons ici un exemple américain, adapté à la culture suisse. Il s’agit
d’un jeu de 40 cartes qui sert de support à la discussion sur les valeurs[6]. Cette discussion est un très
bon point de départ pour le reste de la démarche, dont nous avons donné les
éléments clefs ci-dessus. Chaque carte comporte une valeur, il y a une carte
vide prévue pour indiquer une valeur qui n’a pas été prévue.
Version française du jeu Go Wish
|
La personne est
invitée à prendre connaissance de l’ensemble des cartes, à son rythme, à en
choisir quelques-unes et à les classer en trois catégories : ce qui est
prioritaire, ce qui est important, ce qui compte (Carlin, 2017). L’idée est que
les cartes soient toutes visibles sur la table. Une fois ce choix effectué, la
référente invite la personne à expliquer ses choix et leur ordonnancement.
Pourquoi avoir placé deux cartes aussi éloignées a priori, au même niveau de
priorité, par exemple ? Ce moment de discussion sur les cartes peut durer
longtemps, il est essentiel pour mieux connaître la personne. L’étape suivante
consiste à discuter des cartes qui ont été écartées. Là aussi, c’est
intéressant de comprendre pourquoi ces cartes n’ont pas été retenues. Est-ce
parce que trop de choses sont importantes ? Est-ce que la personne n’ose
pas demander plus ?
Les utilisateurs
apprécient le support ludique et adapté aux âgés, les nombreuses possibilités
offertes : une infirmière laisse le jeu de carte à disposition avant la
rencontre, une autre discute des cartes en présence d’une proche, qui finit par
s’intégrer à la discussion, une troisième s’étonne des cartes choisies… La
méthode peut être utilisée souplement, ou alors un contact peut être pris avec
l’infirmière qui a adapté la méthode en Suisse, Laurence Séchaud, qui a
développé une méthodologie rigoureuse pour intégrer le Go Wish dans les équipes
des EMS (Séchaud, 2014).
Conclusion
Comme on l’a vu ici,
la méthode choisie n’a pas vraiment d’importance, ce qui compte c’est
l’engagement de tous et de chacune dans un projet qui va prendre du temps,
mobiliser des personnes, chahuter nos représentations, au service du projet de
vie et/ ou de fin de vie des résidents. En effet, le plan de soins anticipé est
moins un « enregistrement des volontés » qu’une nouvelle manière de
communiquer sur la vie ici et maintenant, ensemble. S’il s’agit juste de
planifier les décisions de fins de vie à prendre (hospitaliser ou non,
investiguer un cancer, poser une sonde gastrique, initier une sédation,
proposer de la morphine pour gérer la douleur …), les directives anticipées
suffiront.
Ce texte a été écrit en pleine crise du coronavirus, au moment où les EMS sont confinés, où les décès augmentent, où les protections sociales des soignants ont été levées. Des décisions terribles sont prises en ce moment, on voit bien que la planification anticipée des soins pourrait soulager les équipes et les proches, non pas pour faciliter les décisions, mais pour leur donner plus de sens en fonction des valeurs qui auraient été discutées au préalable et au calme, des ressources qui seraient mieux connues et des moments partagés.
|
Les articles de l’AVALEMS sont des documents de travail à
l’attention des professionnels des soins de longue durée, en particulier dans
les établissements médico-sociaux (EMS). Leur contenu ne constitue pas une
position associative. Responsable d’édition : Camille-Angelo Aglione
(camilleangelo.aglione@avalems.ch)